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Isoc-ECC : contenu créatif et « ripostes graduées »Soumission par l’Isoc-ECC
samedi 6 septembre 2008. Ce document a été transmis à Mme Catherine TRAUTMANN et M. Malcom HARBOUR, Rapporteurs du projet de révision du « Paquet Télécom » au Parlement européen, ainsi qu’à Mme Viviane REDDING, commissaire responsable de la société de l’information et des médias. Il a également été transmis à M. Michel THIOLLIERE, rapporteur du projet de loi « Création et internet » au Sénat français. Références : Communication de la Commission européenne, COM (2007) 836 final, 3 janvier 2008
Résumé : Cet Aide Mémoire exprime les inquiétudes des Chapitres européens de l’Internet Society au vu des propositions restreignant l’accès et l’usage de l’internet au nom de la protection des droits de propriété intellectuelle. Cet Aide Mémoire a été approuvé par les Chapitres suivants de l’Isoc, membres de l’Isoc-ECC :
Isoc Allemagne ; Isoc Angleterre ; Isoc Belgique ; Isoc Bulgarie ; Isoc Espagne ; Isoc Finlande ; Isoc France ; Isoc Italie ; Isoc Luxembourg ; Isoc Pays-Bas ; Isoc Pologne ; Isoc Norvège ; Isoc Roumanie ; Isoc Wallonie. Tout en reconnaissant l’importance du droit d’auteur, certaines des mesures proposées vont au-delà de ce qui serait nécessaire ou efficace. Pour l’essentiel, les signataires du présent Aide Mémoire considèrent que le projet de loi français est une réponse disproportionnée aux objectifs fixés par la Communication de la Commission européenne et que les mesures et les sanctions proposées reflètent un manque de compréhension de ce qu’est l’internet, avec des conséquences négatives sur les usages de l’internet à de nombreuses fins économiques et sociales. De plus le projet de loi se focalise sur un seul aspect de la Communication de la Commission qui traite également de la question de la disponibilité des contenus, des licences multiterritoriales et de l’interopérabilité des systèmes de gestion numériques des droits. L’Isoc-ECC serait particulièrement préoccupée si les propositions contenues dans la loi Hadopi devaient servir de modèles à d’autres États membres de l’UE, l’EEE ou de l’AELE ou si elles devaient être promues ou approuvées par la Commission européenne. Environnement général : La protection des droits de propriété intellectuelle dans l’environnement numérique de l’internet est l’objet de préoccupations largement répandues depuis de nombreuses années. Ces préoccupations sont aussi bien commerciales que culturelles. Le téléchargement de fichiers multimédia est notamment rendu responsable (a) d’une baisse des recettes des personnes exploitant des œuvres et (b) de la mise en danger de la viabilité des arts créatifs dans les médias, ce qui porte préjudice aux moyens de subsistance des artistes. Courant 2007, la Commission européenne a conduit une consultation publique et publié une Communication en janvier 2008. Celle-ci a donné lieu à une nouvelle consultation publique qui a pris fin le 28 février 2008. Dans le même temps, le gouvernement français a encouragé fin 2007 la conclusion d’un protocole d’accord entre les parties intéressées, protocole connu sous le nom d’« Accord pour le développement et la protection des œuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux » ou encore d’« Accord Olivennes », et présenté un projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, plus connu sous le nom de loi « Hadopi ». Ces deux initiatives sont liées puisque la consultation publique de l’Union européenne tenue en 2008 fait référence de façon explicite, sous « Offre licite et piratage », à l’initiative française. Discussion : Les membres de l’Isoc-ECC soutiennent de façon générale les mesures conformes au droit d’auteur en vigueur, incluant les droits protégeant le public. Nous considérons que les mesures législatives et réglementaires devraient ne pas prendre partie que ce soit en faveur de certaines technologies ou de certaines méthodes de distribution. Elles ne devraient pas protéger des technologies et des modèles économiques existants au détriment de technologies et modèles émergents. Elles ne devraient pas inhiber l’innovation. Dans ce contexte, le projet Hadopi et ses éventuelles ramifications européennes appellent les observations et remarques suivantes : 1. Les aspects légaux de la proposition françaises ont déjà été traités par l’Isoc France et transmis au rapporteur du projet de loi au Sénat français. Nous renvoyons à ce sujet à la lettre datée du 27 juin 2008 en annexe. Les sanctions administratives proposées en France renverseraient la charge de la preuve du partage et de la copie de fichiers multimédia : en effet un internaute pourrait être provisoirement déconnecté sur la base de soupçons ou d’une dénonciation, en attendant de plus amples investigation et preuves. De plus tous les utilisateurs d’une connexion internet (qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’une famille) pourraient être sanctionnés, quelque soit la personne, si elle existe, qui est suspectée individuellement d’avoir copié illégalement un fichier multimédia. 2. L’évolution contemporaine des technologies et de l’économie numérique est à l’origine d’un changement fondamental dans la nature de l’information et la façon dont elle est communiquée et utilisée. À cet égard, la loi Hadopi semble quelque peu rétrograde. Elle tend à confirmer l’inquiétude largement répandue selon laquelle l’industrie de la création et ses représentants n’ont pas encore adapté leur activité et modèles économiques à la nouvelle donne. La portée globale de l’internet et son expansion continue et rapide, soutenue énergiquement par les autorités publiques dans presque tous les pays, est pourtant le fait fondamental et le contexte indispensable à la compréhension de ces questions. 3. Plus spécifiquement, cela fait plus d’une décennie que l’industrie de la création et celle des biens électroniques ont eu l’occasion de développer des systèmes de gestion numériques des droits standardisés, y compris grâce à d’importantes subventions publiques pour promouvoir ces systèmes au sein de l’UE. Comme la Communication de la Commission l’indique, « de longues discussions entre parties concernées n’ont pas, pour le moment, abouti au déploiement de solutions de DRM interopérables… » La plupart des médias numériques continuent en effet à circuler aujourd’hui sans protection, en clair. Des systèmes de gestion numérique des droits réussis devraient préserver les exceptions établies protégeant les usages d’œuvres, notamment la copie privée, la courte citation, la parodie, etc. L’étendu de ces droits varie d’un pays à l’autre mais, en règle générale, il existe d’importants usages légaux des œuvres qui sont neutralisés par les systèmes de gestion numérique des droits tels que l’industrie les conçoit aujourd’hui. En conséquence de quoi ces systèmes sont largement rejetés par les consommateurs dans la plupart des marchés. Le projet Hadopi envisage que les systèmes de gestion numériques des droits seront à l’avenir abandonnés et ne s’appuie que sur des mesures juridiques, administratives et éducatives. Cela ne semble pas davantage être une solution viable à long terme. 4. Priver des familles entières de l’internet sur la base d’atteintes alléguées à la propriété intellectuelle est une réponse disproportionnée au problème ressenti. L’internet est devenu un instrument essentiel dans le cadre de nombreuses activités publiques ou privées, sociales ou administratives. Couper la connexion de foyers interférerait et saperait la fourniture de services publics par les administrations nationales et européennes et l’accès à l’éducation dispensée par les écoles. Une telle mesure serait également préjudiciable à l’introduction des services de banque à distance et au commerce électronique en général. Dans le cadre de la législation européenne sur le marché intérieur, un État membre n’est pas libre d’interférer dans la fourniture transfrontalière de services électroniques comme le projet le prévoit dans ce cas. De plus, de nombreux foyers ne sont plus capables de participer à part entière à la société moderne sans accès internet. D’autres services publics comme la fourniture d’électricité et d’eau sont garantis à l’ensemble de la population dans presque toutes les circonstances. L’internet est global. Il semblerait, de plus, que les utilisateurs compétents, capables de télécharger illégalement des fichiers multimédia, pourraient aussi être à même d’identifier des fournisseurs d’accès et des terminaux informatiques situés à l’extérieur de l’UE ou de la juridiction des État membres afin de continuer leurs activités, sans égard pour l’intervention nationale d’une Hadopi. 5. S’agissant de l’aspect économique de la promotion de l’accessibilité, de l’usage et du paiement de contenus numériques, il semblerait que les mesures proposées fassent fausse route. Nous sommes d’avis que : (a) les estimations que les acteurs de l’industrie produisent pour chiffrer les pertes dues aux actes de téléchargement illégaux allégués sont exagérées ; il est impossible d’affirmer que si ces actes étaient empêchés, les internautes concernés achèteraient les même fichiers multimédia (le plus souvent des morceaux de musique ou des films) au prix de détail actuel, par exemple sur CD ou sur DVD. (b) le déclin actuel des revenus d’œuvres provenant de supports fixes peut aussi être attribué à plusieurs autres facteurs, notamment les changements de mode de vie et la mobilité accrue des personnes. Aujourd’hui, les jeunes Européens passent beaucoup moins de temps qu’il y a quelques années à écouter leur chaîne stéréo ou à regarder la télévision. (c) dans la mesure où un des objectifs de la politique de création numérique est de promouvoir les revenus des artistes individuels, les mesures proposées constituent au mieux un moyen indirect et peu efficace d’atteindre cet objectif. En pratique, les principaux bénéficiaires des mesures proposées, sanctionnant la copie privée de fichiers multimédia, seraient, s’il existe bien de tels bénéficiaires, les principaux exploitants et leurs sociétés de gestion collective. Pour cette raison, nous recommandons qu’avant que de telles mesures légales et administratives soient introduites, les industries concernées envisagent des activités et des modèles économiques alternatifs, prenant pleinement en compte la transformation contemporaine des médias découlant de la digitalisation des communications et de l’internet. Plus précisément, la promotion de contenus numériques créatifs est centrée sur les artistes eux-mêmes. Tels qu’ils sont actuellement mis en œuvre, le droit d’auteur, les licences et redevances associées sont un moyen inefficace de soutenir les artistes, particulièrement les nouveaux entrants. 6. Vie privée : Le système Hadopi nécessiterait la collecte et la conservation de quantités extrêmement importantes de données personnelles relatives aux abonnés faisant l’objet d’enquête et/ou déconnectés. Le cadre légal exact permettant d’identifier les internautes qui seraient ciblés et surveillés n’est pas encore clair. En tous les cas, les données relatives aux abonnés déconnectés ne correspondraient pas nécessairement à celles des infracteurs putatifs. Ces données seraient bien évidemment extrêmement sensibles, particulièrement si aucune infraction n’a eu lieu, et d’une grande valeur pour les sociétés de gestion collective et les autres personnes intéressées. Une protection non adéquate, une perte ou un détournement de ces données causeraient un préjudice particulièrement grave aux familles concernées. 7. L’Isoc-ECC soutient et encourage les aspects pédagogiques de ces propositions. Nous considérons cependant que ceux-ci devraient être poursuivis d’abord et avant tout au travers des écoles, des universités et des autres institutions scolaires, avec des budgets et des mesures de publicité appropriés. Associés des objectifs éducatifs à une entité répressive et de contrôle telle que l’Hadopi l’est aujourd’hui n’est pas efficace. Dans tous les cas, il faut désormais reconnaître que la tâche éducative en ce domaine doit faire face à un environnement défavorable. Toute une génération de jeunes Européens a grandi dans un environnement où les créations étaient en pratique d’accès libre et gratuit en ligne alors que les prix du commerce pour ces mêmes créations sur des supports physiques dépassaient les possibilités de leur budget. Un nouveau modèle économique doit donc être imaginé qui rencontre l’approbation – si ce n’est reçoit le soutien – des clients de l’industrie de la création. Conclusion : Au vu des connaissances et de la large expérience de nos membres sur de nombreux aspects de l’internet, l’Isoc-ECC doit conclure – à regret – que ce qui est appelé « Riposte Graduée » (et dont l’Hadopi semble être le signe avant-coureur) n’est pas une réponse appropriée au problème perçu du téléchargement illégal de fichiers multimédia. Les mesures proposées n’atteindraient pas les objectifs économiques déclarés ; elles apparaissent techniquement bancales et sont probablement impossibles à mettre en œuvre juridiquement, du moins d’une façon non-discriminatoire. Un niveau inacceptablement élevé de surveillance des usages individuels de l’internet pourrait être requis. Si de telles mesures devaient être largement employées, elles interféreraient avec plusieurs autres objectifs prioritaires associés avec la généralisation de l’accès à l’internet à haut-débit et avec le marché intérieur communautaire relatif au commerce électronique. Il va sans dire que de telles mesures deviendraient rapidement impopulaires auprès des jeunes générations d’électeurs et d’internautes. Cet Aide Mémoire n’épuise pas l’ensemble des points actuellement en discussion devant les institutions européennes et au sein des États membres. En conséquence, l’Isoc-ECC et ses Chapitres membres se réservent la possibilité de revenir ultérieurement sur les sujets évoqués, en particulier afin de développer des options alternatives qui prennent en considération les relations entre internautes, fournisseurs d’accès et ayants-droit. |